CSF Magazine n° 115 - REFORME DU LYCEE
REFORME DU LYCEE : ON NE BADINE PAS AVEC L'ECOLE
Pour la première fois depuis un quart de siècle, les élèves qui vont entrer en classe de Première ne seront plus répartis suivant les anciennes sections : S, ES ou L. C’est l’effet de la réforme du lycée, qui s’articule avec la réforme du bac : un nouvel horizon pour la fin de l’enseignement secondaire. L’enjeu est majeur : il s’agit de la formation des futures générations. Mais cette réforme dispose-t-elle des moyens de réussir ? CSF Magazine a voulu ouvrir le dossier.
Relevons d’abord ce qui va changer. Dès la classe de Seconde, chaque élève va devoir se prononcer sur sa scolarité en classe de Première : il devra choisir trois enseignements de spécialité. Puis, en Terminale, ses choix se resserreront puisqu’il devra sélectionner seulement deux enseignements de spécialité, pour un programme scolaire qui le conduira au nouveau bac.
En classe de Première, il y aura donc un tronc commun auquel s’ajouteront trois enseignements de spécialité à choisir par l’élève. Comment cela fonctionnera-t-il ? Voyons le tronc commun, celui que suivront tous les élèves de Première : français, histoire-géographie, enseignement moral et civique, deux langues vivantes, sport, enseignement scientifi ue. L’ensemble de ces cours couvrira 16 heures par semaine. S’ajouteront ensuite quatre heures d’enseignement de spécialité. Et là, notre élève devra choisir trois spécialités parmi l’éventail proposé. Cet éventail est large :
- art ;
- biologie et écologie ;
- histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ;
- humanités, littérature et philosophie ;
- langues, littérature et cultures étrangères ;
- llitérature, langues et cultures de l’Antiquité ;
- mathématiques ;
- numérique et sciences informatiques ;
- physique-chimie ;
- sciences de la vie et de la Terre ;
- sciences de l’ingénieur ;
- sciences économiques et sociales.
Première interrogation : tous les lycées de France proposeront-ils tous ces enseignements de spécialité ? Ce n’est évidemment pas possible. « Mais, assure Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, 92% des établissements proposeront sept spécialités. » Et ajoute le secrétaire général du syndicat des proviseurs, Philippe Vincent, « ensemble, deux à trois établissements vont couvrir une dizaine de spécialités. ». Mais il faudra pour cela changer de lycée ou courir d’un lycée à un autre. Pour Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES – FSU, « dire à un lycéen qu’il pourra suivre une spécialité dans un autre établissement est très théorique. Dans les faits, cela va le décourager ». Même préoccupation du côté des parents d’élèves : « le temps de trajet des élèves va augmenter », craint Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE.
Certes, comme le dit le ministre, « en combinant les spécialités, on offre aux lycéens un choix plus large que ce que permettent les séries actuelles », mais cette liberté ne sera pas la même en zone rurale ou dans les grandes villes. Il n’y a pas le même nombre de lycées dans la Creuse qu’à Lyon ou Paris ! « Pour suivre la spécialité de leur choix, des élèves seront contraints de se rendre dans un autre lycée, parfois très éloigné de chez eux, ou de suivre un cours par correspondance, quand ils ne renonceront pas purement et simplement à leur voeu au vu des obstacles. L’égalité des chances et des territoires pâtira gravement de la réforme », souligne les associations de professeurs spécialistes.
Autre nouveauté : c’est dès la classe de Seconde que le choix des enseignements de spécialité en Première doit être effectué. N’est-ce pas trop tôt ? Par exemple, si l’élève écarte les mathématiques de sa liste d’enseignements de spécialité, cette matière ne figure pas non plus au tronc commun. C’est dire qu’il s’interdit tout avenir scientifique et se ferme dès la classe de Seconde toutes les filières scientifiques. Cédric Villani, mathématicien et aujourd’hui député de la majorité, n’est pas inquiet : « L’esprit de la réforme, c’est plus de maths pour ceux qui en ont besoin ». Et de fait, ceux qui choisiront l’enseignement de spécialité « mathématiques » et l’année d’après, l’option « mathématiques expertes » en classe de Terminale seront bien formés, avec neuf heures de maths par semaine ; le niveau des jeunes Français en maths ne cessant de dégringoler, la mesure sera sans doute utile. Mais les autres ? Tout l’avenir sera tracé à partir des choix faits en Seconde. Ceux qui ne retiennent pas cette option s’éloigneront définitivement des maths : « Il en restera une petite goutte, quasiment rien, distillée dans deux heures d’enseignement scientifique », déplore Alice Ernoult, présidente de l’Association des professeurs de mathématiques.